ROMANS



Mourir c’est comme dormir sans ronfler. C’est mieux pour le conjoint.

VIVIANE GROULET

 

Un mardi sur deux, Pascal Bouvier quittait Fontainebleau pour rejoindre Saint-Germain-en-Laye et rendre visite à sa mère à Notre-Dame-de-la-Joyeuse-Charité. La grande maison de retraite médicalisée occupait presque entièrement l’ancienne abbaye fondée par sainte Clotilde au sixième siècle. Moins connue que son homonyme reine des Francs, la sainte Clotilde qui fonda l’ordre de la Joyeuse Charité était une petite femme ronde et rigolote, contemporaine de l’épouse de Clovis, restée très près du peuple et qui ne donnait jamais un sou d’or de Constantin aux pauvres sans l’agrémenter d’une histoire drôle et quelque- fois grivoise. De cet ordre atypique et peu connu, il ne restait plus qu’une seule congréganiste. Sœur Marguerite, alerte vieille dame de quatre-vingt-quatre ans, qui avait pris le voile sur le tard après un amour contrarié avec un militaire et que l’on maintenait dans les lieux, dans une petite maison à part, pour garder un vernis d’authenticité historique. 

 

 

Nous sommes tous mortels et chacun est pour soi.

Arnolphe dans "L'école des femmes" de Molière.

 

Depuis Aberaz la route descend rapidement vers Saint Jean de Maurienne. Il y a des endroits où Papa doit se garer pour laisser passer les voitures qui remontent de la vallée ou bien le bus qui fait la navette avec les villages d'en haut. Nous sommes partis encore en retard, un problème de voiture, je crois. Il est près de dix-sept heures. Papa conduira toute la nuit. Maman ne pourra pas le relayer, maman n'a pas le permis. Elle n'a aucune confiance en elle et elle a failli rater tous ses examens à cause de ça. C'est ce qu'elle dit, mais j'ai du mal à la croire. Parce que Maman est blindée de diplômes. Mais il paraît que c'est vrai, qu'il n'y a pas une leçon de conduite où elle n'ait calé au moins dix fois.

Les cheveux de maman ont blondi, comme les miens, comme ceux de Toli, mon petit frère. Il est tout bronzé. Papa a le nez qui pèle encore, comme le mien, on a le même nez. Un peu busqué. Toli a le même nez que Maman, droit et légèrement en trompette au bout. Nous sommes le samedi 24 Juillet 1983. il fait beau. Nous rentrons à Paris après quinze jours de randonnées en montagne. Mes parents chantent du Bobby Lapointe à tue-tête en accompagnant le radio-k7. Papa chante faux, maman juste. Papa a le bon rythme, maman, non. Le couple idéal. Toli joue avec son écran magique à dessiner des maisons qu'il efface aussitôt. Moi je regarde le soleil qui clignote comme un stroboscope à travers les arbres. Je sais très bien ce qu'est qu'un stroboscope, je suis sortie en boîte pour la première fois il y a quinze jours avec mon cousin Patrick. J'ai douze ans mais je fais beaucoup plus. J'ai toujours fait plus que mon âge.